Point de vue de l’Ayurveda sur la psychologie

« Au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible. »
A. Camus

Commençons par les définitions…

Définition du terme Psychologie dans le Larousse = Discipline qui vise la connaissance des activités mentales et des comportements en fonction des conditions de l’environnement.
Définition dans le Robert = Étude scientifique des phénomènes de l’esprit (au sens le plus large).

Étymologiquement, le mot psychologie signifie science de l’âme.
Du terme grec scindé en deux racines :
psukhē : Souffle de vie, âme. L’âme par opposition au corps, l’âme comme siège des sentiments, des passions, de l’intelligence, de l’esprit, des désirs.
λογία (-loyía)(-logie) : vient de lógos (parole, discours). Forme le nom d’une science, de l’étude scientifique d’un sujet.

Son objet est donc l’étude du comportement humain sous tous ses aspects psychiques, normaux ou pathologiques.

En lisant ces définitions, on peut voir des termes qui nous sont familiers en ayurveda surtout en regardant au niveau de l’étymologie… Mais ont-ils le même sens, la même dimension en Ayurveda ?

Les termes que l’on peut retenir ici sont les suivants : l’esprit, l’âme, le souffle de vie que l’on pourrait relier à des notions comme Manas ou Citta, Atmâ ou Jiva, Prana mais aussi intelligence, conscience, sentiments, désirs qui pour le coup nous ferait penser à Buddhi, Ahamkara et enfin les causes de souffrance comme Dukkha…

L’être humain holistique

Du point de vue de l’ayurveda, l’individu, ce corps ’’vivant’’, est composé d’un corps physique, d’un mental et d’une âme. Défini même comme forme composite de facteurs physiques, mentaux et spirituels appelée Rāśi puruṣa.

Puruṣa c’est la conscience universelle.
Mais c’est aussi l’Observateur. Celui qui expérimente.
La conscience individuelle. C’est la vraie nature de l’être.

Sarīrēndriya sattvātma saṁyōgō dhāri jīvitam |
Nityagaś cānubandhaś ca paryāyair āyur ucyatē ||42|
CS Sutra Sthana 1-42

Cet individu indivisible, complet, total, est l’union (samyoga) entre le corps physique (sarira), les organes de sens (indriyas), l’appareil cognitif (sattva) et l’âme (atma).

Le corps, le mental et l’âme

Ils forment un trépied, le trépied de la vie, comme l’appelle le Dr Vasant Lad qui récite très régulièrement ce sloka lors de ces interventions.

sattvamātmā śarīraṁ ca trayamētattridaṇḍavat|
lōkastiṣṭhati saṁyōgāttatra sarvaṁ pratiṣṭhitam||46||
CS Sutra Sthana 1-46

L’esprit, l’âme et le corps – ces trois sont comme un trépied. Par leur conjonction, l’existence du monde vivant est maintenue. C’est le substrat de tout ce qui existe actuellement.

Cette combinaison du corps et du mental sous-entend que l’on doive suivre un régime alimentaire et hygiène de vie (ahara et vihara) non seulement pour l’équilibre des doshas mais aussi pour la santé de l’esprit, parce qu’il n’y a pas de séparation entre le corps, l’âme et le mental. Ce trépied représente une forme solide, lorsque ces trois aspects de notre vie sont en équilibre alors on est en bonne santé.

L’aspect structurel du corps est constitué des 5 éléments mais l’aspect fonctionnel du corps est régi par les trois doshas : Vata, Pitta et Kapha qui vicient le corps. Le mental lui est vicié par les deux doshas mentaux Rajas et Tamas (Mānasa Doṣa). La viciation du corps et de l’esprit provoque l’expression de maladies et aucune maladie n’est causée sans viciation de dosha.

vāyuḥ pittaṁ kaphaścōktaḥ śārīrō dōṣasaṅgrahaḥ|
mānasaḥ punaruddiṣṭō rajaśca tama ēva ca ||57||
CS Sutra Sthana 1-57

Vayu, Pitta et Kapha sont décrits comme des doshas corporels,
Rajas et Tamas sont les doshas mentaux.

Le corps et l’esprit sont tous deux liés et interdépendants. Le corps suit l’esprit et vice versa. On connait l’impact du mental, des émotions sur le système immunitaire ou la digestion. La communication entre le cerveau et le système digestif (appelé 2ème cerveau justement) est plus que reconnue, le rôle du microbiote intestinal dans certaines pathologies soupçonné.

En parcourant encore les textes, on peut se rendre compte ainsi de l’approche psychosomatique, Mānasa Doṣa, de la santé et donc de la maladie.

Bien que les trois doshas soient acteurs dans les activités mentales : Vata avec les subdosha Prana, Udana et Vyana, mais aussi Pitta avec Sadhaka et Kapha par le biais de Bodhaka et Tarpaka.
Vata est considéré comme le dosha principal pour influencer les activités mentales.
C’est le contrôleur, le motivateur et le régulateur de toutes les activités mentales.
Caraka Samhitâ Sutra Sthana 12-6

De nombreux aspects façonnent notre personnalité : en plus de l’éducation et des expériences de la petite enfance dans l’environnement familial, la plus grande influence sur la formation de notre caractère vient de notre constitution physique et mentale. 

Concrètement, cela signifie que la décision sur qui nous sommes et comment nous façonnons notre vie dépend de la manière dont les doshas (vata, pitta, kapha) et les gunas (tamas, rajas, sattva) se manifestent. À cet égard, les empreintes de la constitution de base (deha prakrti), qui sont formées par les doshas, ​​sont immuables, tandis que la constitution mentale (manas prakrti) est variable et soumise à notre influence directe.

Les doshas vont donc teinter la personnalité au travers de notre Prakriti :

Vata, composé des éléments Air et Ether, a une affinité avec les mots, les sons. De nature créative, curieuse, active, un Vata déséquilibré aura tendance à se disperser et pourra ressentir facilement de l’anxiété, du stress, surmenage, peurs…

Pitta, composé des éléments Feu et Eau, s’exprime beaucoup par le visuel, l’image. De nature fonceuse et entreprenante, un Pitta déséquilibré aura tendance à devenir autoritaire, intolérant, agressif menant à des obsessions, des problèmes d’ego, des colères et de la frustration.

Kapha composé des éléments Eau et Terre, est plutôt sensible aux émotions et aux sensations. Mais cette émotivité peut si Kapha est déséquilibré se transformer en un côté avide, dépressif, obstiné, jaloux et possessif. Menant à de la léthargie, passivité et rigidité.

Par ailleurs, Caraka évoque les prédispositions mentales teintées par les gunas Sattva, Rajas et Tamas au moment de l’incarnation. (Caraka Samhitâ Sharira Sthana)

L’esprit seraient de trois types – Sattvika, Rajasika et Tamasika.

Chacun de ces trois types d’esprit peut être subdivisé en d’innombrables formes en raison des proportions, du type de corps et de l’origine du corps dans lequel il réside.

Le Sattvika est considéré comme pur, exempt à causer des anomalies car il est doué de sagesse et pureté. Le type Rajasika est considéré comme impur car il favorise un tempérament allant vers la colère, la frustration, l’insatisfaction. Enfin, le Tamasika est lui aussi considéré comme impur à cause de sa tendance à faire preuve de paresse, léthargie, avec un certain manque d’intelligence parfois.

Manovahasrota

Les srotas sont les canaux de transport et de transformation. Il en existe pour le mental.

Les canaux peuvent en outre conduire à une maladie grave appelée ‘atattvabhinivesha’ (une maladie de perversion de l’intellect).
CS Chikitsa Sthana 10 57 – 60

L’obstruction des canaux transportant les impulsions psychiques (sanjnavahi srotasa) par rajas et tamas provoque un état d’esprit confus.
Su.Sa. Uttara Tantra 61/8

Des canaux relient le cœur au cerveau.
Il est affecté dans des maladies comme la psychose (unmada)
CS Chikitsa Sthana 9/5

L’accumulation de dosha dans le cœur provoque l’épuisement de la force mentale et conduit à la psychose. AS Uttara Tantra 10/2 A.Hr. Uttara Tantra 7/2

L’organe de la psyché / Antahkarana

Antaḥ signifie « intérieur » et karaṇa signifie « instrument »

Concept de la philosophie ayurvédique et yogique, se référant à l’intégralité de l’esprit – allant de l’aspect pensant, au sens de soi ou « je », et la faculté de discrimination.

Antahkarana couvre toutes les fonctions de l’esprit, à savoir le manas (l’esprit ou l’esprit inférieur), buddhi (l’intellect ou l’esprit supérieur), la citta (la mémoire ou la création d’images) et l’ahamkara (l’ego).

De cette manière, Antahkarana fait référence à l’ensemble du processus psychologique, tous les niveaux mentaux fonctionnant comme une unité, toutes les parties travaillant ensemble comme un tout.

Buddhi, la faculté discriminante de l’esprit

C’est l’aspect le plus important du processus psychothérapeutique, puisque toutes les maladies mentales résultent de buddhi. Selon notre histoire de vie individuelle avec tous les souvenirs et expériences du passé, chaque personne a créé sa propre « grille d’évaluation » à partir de laquelle toutes les informations et expériences actuelles sont évaluées. Si la discrimination (Buddhi) est colorée négativement par des expériences ou des traumatismes douloureux et non traités, Manas reçoit automatiquement des informations mal évaluées, ce qui peut conduire à des pensées, des sentiments, des états d’agitation ou des délires douloureux et pathologiques.

Les mauvaises actions commises en raison de la déficience de l’intellect, de la sagesse et de la mémoire, conduisant à l’aggravation de tous les doshas, sont collectivement connues sous le nom d’erreur intellectuelle Prajnaparadha.
Caraka Samhita Sarira Sthana 1 -102

L’erreur intellectuelle et la bonne gestion des émotions

Prajnaparadha (erreur intellectuelle) est la cause première de tous les troubles. 
Caraka Samhita Nidana Sthana 7 – 21

Considéré comme l’un des trois principaux facteurs responsables de tout type de maladie. Les deux autres causes étant l’union ‘malsaine’ des organes des sens avec leurs objets (asatmya indriyaartha samyoga) et les effets saisonniers (parinama).

C’est un facteur causal spécifique des maladies exogènes (agantu).
Caraka Samhita SS 7 – 51

L’explosion excessive d’émotions comme la jalousie, le chagrin, la peur, la colère, l’égoïsme, la haine, etc. et tous les autres troubles mentaux sont le résultat d’un fonctionnement intellectuel défectueux.
Caraka Samhita SS 7 – 52

La cause profonde de toutes sortes d’épidémies est mentionnée comme « l’injustice » (adharma)
qui est née d’une erreur intellectuelle.
Caraka Samhita VS 3 – 20

Dhi, Dhrti et Smrti dans le fonctionnement normal de l’intellect

Les trois domaines impliqués dans le fonctionnement normal de l’intellect sont Dhi (l’intelligence), Dhrti (le discernement) et Smrti (la mémoire). Toute erreur dans ces trois facultés peut entraîner un défaut ou une erreur intellectuelle.

Dhi : l’intelligence car définit la capacité de l’esprit à apprendre ou à acquérir des connaissances.

Dhriti : La capacité de traiter et de conserver des informations. Faire preuve de discernement, et distinguer le bien du mal. Dhriti est cette capacité à entrer en contact avec votre moi intérieur et à discerner si une ligne de conduite ou une décision particulière est bonne ou mauvaise pour vous.

Smriti : Signifie souvenir en sanskrit. La capacité de se rappeler ou de se souvenir de choses vues, vécues ou entendues. Dans la vie pratique, la mémoire rappelle à la personne la décision de l’intellect sur les choses nuisibles ou bénéfiques.

Mais revenons à notre sujet sur Bhutavidya…

Nous venons de voir que dans les maladies mentales, il y a deux grandes catégories :
celles qui sont de l’ordre d’un déséquilibre des doshas mais aussi celles qui sont exogènes.

Bhuta pourrait être traduit par les atomes, les éléments comme le feu, l’eau, l’air…
Mais ce terme désigne aussi les esprits, des forces psychiques indépendantes et qui pourraient peupler notre espace psychique à cause de failles.

On pourrait parler d’aliénations plus que de possessions. On est au niveau de la mythologie (les Naga, Deva, les esprits du vent, les Raksasa qui sont des sortes de démons, les Graha – influence des planètes sur notre destinée par exemple avec le Jyotish… etc…)

Morgan nous évoque, lors de son intervention vidéo sur le Groupe Aux Origines de l’Ayurveda, cette image décrite dans les textes sur comment cette influence va s’exercer = analogie de la pierre polie et comment un voile va s’installer sur Buddhi.

Pour Caraka = les causes seraient la guerre, les catastrophes naturelles. On pourrait penser ici aux traumas, deuils, toutes conditions traumatiques…

Il faut bien savoir les reconnaitre pour ensuite les traiter de manière ciblée et efficace.

Traitement et prises en charge

L’Ayurveda traite traditionnellement la santé et la maladie par le corps et l’esprit, qui se reflètent l’un l’autre. Il s’agit par nature autant d’une thérapie psychologique que d’un traitement physique. L’accent mis sur la réduction des doshas et l’amélioration du sattva guna fournit donc une prise en charge sur plusieurs niveaux.

Trividha Cikitsa, qui non seulement prévient les déficiences de Dhi, Dhrti et Smrti, mais les ramène également à l’état normal, joue un rôle important dans le maintien d’un état harmonieux entre ces trois facteurs conduisant finalement à une bonne santé. état de l’individu.

Une méthode de traitement, Trividha Cikitsa, qui prévient les déficiences de Dhi, Dhrti et Smrti en les ramenant à un état d’équilibre a été répartie en trois catégories par Caraka :
1. Daiva Vyapasrya – thérapie divine
2. Yukti Vyapasrya – thérapie rationnelle
3. Sattvavajaya – psychothérapie

1. Daiva Vyapasrya – thérapie divine

Sorte de thérapie divine dérivée principalement de l’Atharvaveda. C’est une thérapie de foi utilisée dans la gestion de Manasaroga. La foi fait partie intégrante de la psychologie humaine et ce traitement est un jeu de foi où le patient doit croire pleinement au médicament et à la méthode de traitement.

Les méthodes adoptées par Caraka dans le cadre du traitement Daiva Vyapashraya sont
1. Mantra (Hymnes)
2. Aushadha (Amulettes, talisman)
3. Mani (Port de pierres précieuses)
4. Mangala (Cérémonie de bon augure)
5. Bali (Offrande à Dieu)
6. Upahara (Dons)
7. Homa (Oblations)
8. Niyamana (Observation des règles scripturaires)
9. Prayascita (Expiation)
10. Upavasa (Jeûne)
11. Svastyayana (Bénédictions)
12. Pranipata (Abandon total à dieu, observance à dieu)
13. Gamana (Faire un pèlerinage)

2. Yukti Vyapasrya – thérapie rationnelle

Yuktivyapasraya = approche rationnelle, application de techniques médicales et thérapeutiques en suivant un protocole. Plutôt au niveau du corps physique. Par le rééquilibrage des doshas. (nutrition, hygiène de vie, phytothérapie et soins, pranayamas, méditations, yoga nidra…) Tout ceci bien sûr après un diagnostic approfondi de la situation, de la constitution de la personne et des vikriti observées.

L’Ayurveda utilise les modalités principales dans le traitement qui sont :
Shamana – Pour pallier les soins ou gérer la maladie 
Shodhana – Pour éliminer la cause de la maladie
Nidana parivarjana – Évitement des facteurs causaux

3. Sattvavajaya cikitsa – psychothérapie

Enfin, Sattvavajaya Cikitsa est une approche psychospirituelle qui aide à contrôler Manas pour le maintenir éloigné des Ahita Arthas (objets / pensées / perceptions malsaines).

Le mot Sattva fait référence ici à Manas (l’esprit) et Avajaya pourrait se traduire par conquête ou reconquête.

Caraka a été la première personne à utiliser ce terme de Sattvavajaya et à une seule reprise.
Aucune autre description de Sattvavajaya n’est disponible dans Caraka Samhita. Il semble que Caraka ait utilisé ce mot pour nommer le traitement des maladies où l’équilibre de Sattva est perturbé.

Le but est d’augmenter le gunas Sattva dans le mental pour rétablir un Rajas et / ou Tamas en déséquilibre et ainsi harmoniser le corps, l’âme et l’esprit.

Se concentrant principalement sur l’intelligence, la conscience, la mémoire et les aspects spirituels des individus affectés, elle vise à stimuler la conscience, à discriminer les pensées ou actions inadaptées. Il s’agit d’une méthodologie bien précise dont l’intention principale est de remplacer les pensées négatives par de la positivité. Et c’est cette thérapie qui semblerait donc s’approcher le plus de notre branche de psychothérapie moderne.

Conclusion

Le mot utilisé pour définir la santé en Ayurveda est svastha, qui signifie littéralement « être établi en soi » – un véritable alignement du corps, de l’âme et de l’esprit.

Dans cet état, l’âme utilise le corps comme un temple dans lequel se réaliser et nous aider à atteindre les quatre objectifs principaux que sont artha, dharma, kama et moksa.

En cas de déséquilibres et dans des maladies mentales, ces différents niveaux de traitement, qui sont finalement interconnectés, permettent d’enrichir considérablement le niveau de la prise en charge de l’approche psychologique de l’ayurveda par rapport à une approche clinique conventionnelle. Et c’est ce qui fait toute la beauté et la richesse de l’Ayurveda.

oṁ sarve bhavantu sukhinaḥ
sarve santu nirāmayāḥ
sarve bhadrāṇi paśyantu
mā kaścid duḥkha-bhāg bhavet
oṁ śāntiḥ śāntiḥ śāntiḥ